Politique

Baromètre politique Viavoice-Libération. Impôts et services publics : perceptions, attentes, acceptabilités. Mars 2024

Impôts, services publics, justice sociale

Le contrat social abîmé

Le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, percuté par la crise Covid, avait été placé sous le signe du «quoi qu’il en coûte» plaçant au coeur de son action l’investissement pour la santé publique. Révolue, la dynamique est en train de s’inverser à mesure que les préoccupations sur la dette et l’équilibre des comptes publics croissent. 

Plus récemment, l’annonce de 10 milliards d’économies sur les budgets de certains périmètres ministériels et, in fine, d’économies sur les politiques publiques, a soulevé deux questions majeures : celle de la démocratie, ces coupes ayant été décidées par décret, et celle des choix budgétaires. Frappée de plein fouet par une crise du lien social qui trouve probablement quelques racines dans celle des services publics, la France place au coeur de son contrat social le rapport aux services publics qui cimentent la société. Où en est l’opinion sur ces enjeux ? De quelle manière des enjeux aussi liés les uns aux autres que les services publics, la dette et le niveau d’imposition résonnent-ils dans la société ? Autant de questions au coeur du nouveau baromètre politique Viavoice pour Libération.

Popularités de l’exécutif : l’image d’Emmanuel Macron au plus bas

Particulièrement exposé ces derniers temps, la montée au front du Président de la République ne paie pas. Avec 23 % d’opinions positives (-2 points depuis janvier), Emmanuel Macron retrouve son plus faible score historiquement atteint il y a 5 ans, au coeur de la crise des gilets jaunes, en novembre 2018. Nul doute que ses déclarations sur la non-exclusion de l’envoi de troupes françaises en Ukraine ont, par-delà même le positionnement de fond de l’opinion, attisé l’anxiété d’une société française déjà largement imprégnée de craintes. Il conviendra d’évaluer les résultats d’une opération «reconquête de l’opinion» déjà entamée par la Présidence de la République, notamment à travers le récent déplacement surprise à Marseille sur le thème de l’insécurité.

L’état de grâce n’aura pas duré pour Gabriel Attal : de manière attendue, la cote d’impopularité du Premier ministre grimpe de 40 % à 50 % des Français, une hausse due notamment à une exposition auprès de segments de la population française pour lesquels il était encore mal identifié. 

Son score de popularité se maintient à un haut niveau : en dépit d’une baisse de 3 points, il reste la seconde personnalité préférée des Français avec 36 % d’opinions positives, à égalité avec Marine Le Pen, derrière Edouard Philippe (41 %) et devant Jordan Bardella (34 %). 

Crédibilités politiques : sur les services publics, la gauche dans le dur, le Rassemblement national toujours en tête

Comme à chaque édition du baromètre politique, Viavoice et Libération ont sondé les Français sur la confiance accordée aux formations politiques selon les enjeux. Sur les enjeux régaliens, périmètre de crédibilité historique des formations de droite radicale, le gouffre est impressionnant. Force est de constater que même sur les services publics – thématique à l’honneur pour cette nouvelle livraison du baromètre – le Rassemblement national continue d’être la première formation de confiance.

  • De manière générale, plus d’un Français sur quatre estiment que le Rassemblement national est la première formation de confiance (26 %) : il faut cumuler l’ensemble des autres composantes (PCF, LFI, PS, Ecologistes, majorité Ensemble et LR) pour peser davantage (31 %).
  • Sur l’immigration, un tiers des Français accorde leur confiance au Rassemblement national (33 %), la seconde formation plébiscitée étant la majorité Ensemble pour 9 % de l’opinion.
  • Thématique centrale s’agissant des services publics, la question des fractures territoriales n’échappe pas à ce rapport de forces : le parti de Jordan Bardella suscite la confiance de 19 % des Français. 
  • Enfin, les questions sociales s’inscrivent dans la même dynamique : 16 % des Français accordent leur confiance au RN sur la santé, 18 % sur l’éducation, 17 % sur les inégalités. Pour chacun de ces enjeux, le RN est la première force politique de confiance pour l’opinion.

C’est dans ce contexte d’opinion révélateur que doit être lu et évalué le rapport des Français à autant d’enjeux fondamentaux que sont les impôts et les services publics, le rapport à la justice et aux efforts consentis.

Regard des Français sur les impôts et les services publics

Au coeur du contrat social français, les prélèvements obligatoires et les services publics représentent évidemment bien plus que de simples questions matérielles. Pierre angulaire du système de solidarité redistributif, carburant de services publics qui remplissent un objectif de cimentation du corps social et de garantie concrète du caractère indivisible de la République française, il existe peu de questions aussi délicates que celle du niveau d’imposition. Celle-ci doit être abordée en observant d’abord le rapport des Français à la dette et au déficit, alors que les prévisions annoncées semblent s’empirer et que l’éventail de solutions potentielles agite l’échiquier politique. 

Contrairement à l’idée selon laquelle dette et déficit seraient des sujets réservés à la technocratie et aux sphères d’expertise, c’est un sujet qui préoccupe largement dans l’opinion : 32 % des Français estiment qu’il est prioritaire et 45 % qu’il est important sans être prioritaire. Un enjeu qui trouve écho dans la réalité quotidienne de la population française, 29 % d’entre elle attendant une action prioritaire du gouvernement et du parlement sur les dépenses publiques, un niveau de préoccupation qui tutoie celui de l’immigration (33 %). Des scores relativement surprenants lorsqu’ils sont mis en regard du faible niveau de confiance accordé par l’opinion au gouvernement à cet égard : seul 1 Français sur 5 déclare en effet avoir confiance dans le gouvernement pour rétablir l’équilibre des comptes publics. 

Si préoccupation est un terme fort, pouvant être réservé à d’autres sujets de proximité, l’opinion est sensible au sujet de la dette et du déficit : la moitié de la population accueille même favorablement l’annonce des économies de 10 milliards sur différents portefeuilles ministériels, quand un tiers (33 %) n’y est pas favorable.

Une sensibilité au sujet et un manque de confiance amplifié par une donnée massive, symbole d’un pays en doute quant à légitimité de son système et de ses idéaux : aux yeux de trois Français sur quatre, le système fiscal français est injuste. Un tiers le considère même comme «très injuste» (33 %) et seuls 2 % «très juste». Un constat d’une très grande sévérité pour un modèle qui se conçoit comme progressif et redistributif et qui résonne fortement avec un sentiment de déclassement et de smicardisation très largement partagé dans l’opinion. 

Aspirant à davantage de justice, celle-ci doit être ciblée : 65 % des Français sont favorables à une taxation temporaire sur les «superprofits» de certaines entreprises et 52 % à un nouvel impôt sur la fortune. De quoi y lire une aspiration à une mise à contribution des plus aisés qui va de pair avec une valorisation du mérite et du travail : c’est aussi sur les aides sociales que l’opinion estime qu’il faudrait prioritairement réaliser des économies. Un équilibre délicat à formuler dans la grammaire politique, d’autant que le sujet, aussi factuel soit-il, n’échappe pas au poids des représentations : près de la moitié des Français ont l’impression de payer «davantage d’impôts» depuis 2017 quand 29 % ont le sentiment inverse.

A l’heure où certains, au sein même de la majorité, proposent de remettre sur la table la possibilité d’une hausse d’impôts à laquelle se refuse Emmanuel Macron, l’opinion ne ferme pas la porte à cette solution. Là encore, une hausse ciblée est logiquement plébiscitée : 20 % estiment qu’il faut augmenter les impôts «seulement pour les catégories de la population les plus aisées» et 27 % qu’il faut augmenter ceux «des entreprises qui font le plus de profit». 

Si hausse du niveau d’imposition plus vaste il devait y avoir, celle-ci renfermerait les ferments d’une colère qui trouve sa justification dans le sentiment d’un contrat social synallagmatique devenu vicié : si près de la moitié des Français ont le sentiment de payer plus d’impôts, huit sur dix estiment que la qualité des services publics se dégrade. 63 % des Français partagent même le sentiment que les impôts leur coûtent «davantage qu’ils ne leur rapportent». Aussi bien la «jambe gauche» que la «jambe droite» de l’Etat sont par ailleurs perçues comme affectées. En témoignent les fonctionnements de la justice, de l’éducation, de la santé et de la sécurité considérés comme mauvais par au moins 7 Français sur 10 et comme ceux devant voir prioritairement leur budget augmenter. 

Face à ce constat d’un contrat social abîmé, Marine Le Pen apparaît comme la personnalité la plus à même d’améliorer les services publics en France (19 %), devant Jordan Bardella (16 %) et Edouard Philippe (14 %). Un signal d’alarme.

Adrien Broche
Responsable des études politiques et publiées, Viavoice

 

Par :
Adrien Broche
Lola Lusteau
François Miquet-Marty
Publié le 24/03/2024

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