L’Union européenne vue par les Français
Face aux défis communs, l’exigence de la solidarité
Le lancement du baromètre européen Viavoice – Radio France – France Télévisions et France Médias Monde a pour ambition d’analyser le rapport des Français à l’Union européenne et ce qui sous-tend leurs perceptions.
La livraison de cette première édition s’inscrit dans un contexte triplement inédit. Crise sanitaire, crise environnementale, présidence française de l’UE : l’actualité présente et à venir place la question européenne au cœur des enjeux.
Les résultats du baromètre font état d’un constat frappant. Si la perception de l’UE est emprise de doute et d’incertitude quant à son rôle, cette perception se nourrit d’abord et avant tout de la crainte d’une dislocation de la solidarité européenne. En d’autres termes, l’Union des Etats membres semble se fragiliser, la solidarité est à consolider, générant des craintes quant à leur capacité à affronter ensemble les défis de demain. Car une chose est certaine, les Français attendent de l’Union européenne qu’elle constitue ce projet politique indépassable pour répondre aux enjeux d’avenir.
L’Union européenne, au-delà des intérêts économiques : un déficit de solidarité pour faire face aux défis du monde
Premier constat exprimé par le baromètre, les Français restent méfiants sur l’avenir de l’Union européenne sur un ensemble de registres :
- Un doute quant à l’avenir de l’UE sur le plan économique, seuls 33 % pensent que la situation économique en Europe va s’améliorer dans les prochains mois ;
- Les Français n’anticipent pas une impulsion de l’UE dans l’amélioration des conditions de vie et de travail (seuls 26 % pensent qu’elles vont s’améliorer) laissant ouverte la question de l’homogénéité des conditions de travail sur le territoire européen ;
- Enfin, ils restent perplexes quant à la place de l’UE sur la scène internationale, dans un contexte géopolitique instable seuls 26 % pensent que la place de l’UE dans le monde va s’améliorer.
Ces constats dressés par l’opinion, les raisons qui nourrissent ces perceptions sont de deux ordres :
- L’enjeu de la solidarité entre les Etats membres de l’Union est clairement mis en exergue. Pierre angulaire du bon fonctionnement de l’UE, la solidarité entre Etats semblent se distendre, les intérêts nationaux prennent le pas sur l’entente globale. A ce titre, 49 % des Français pensent que la solidarité entre les Etats va se dégrader et seuls 24 % anticipent l’inverse.
- Les Français sont loin de favoriser ce contexte de repli national : 61 % des Français pensent que les pays de l’Union devront être plus solidaires à l’avenir.
Cette difficulté de convergence entre Etats membres conduit à une incapacité à l’UE aujourd’hui à constituer un acteur au chevet des citoyens.
- La capacité de l’Union à assurer aux citoyens européens une meilleure protection des biens et des personnes ne convainc qu’un tiers des Français (32 %) et seuls 30 % pensent que l’UE pourra apporter une meilleure protection sociale aux citoyens.
La perception française de la gestion de la crise est à ce titre symptomatique d’une Europe absente des enjeux de protection : puisque 51 % des Français pensent qu’elle n’a pas été à la hauteur, 44 % pensent l’inverse et louent son action.
Mais ce constat amer procède surtout d’une mauvaise information, puisque seuls 34 % disent savoir réellement ce qu’a fait l’UE dans la gestion de la crise sanitaire.
Pour affronter ces défis, L’Europe semble trop peu présente. Mais si elle apparaît comme fragilisée, ce regard vient surtout d’une exigence des Français à l’égard de l’UE, qui constitue un atout fondamental face aux défis de demain.
L’UE, un projet fondamental face aux défis de demain
Si le doute exprimé par les Français est réel, l’UE apparaît comme inévitable pour l’opinion publique. Elle constitue une force pour la majorité des enjeux cités.
C’est d’abord sur son socle historique que l’UE apparaît comme un atout : préserver la paix (un atout pour 58 %) et défendre les droits fondamentaux (49 %) ;
- Malgré les doutes et les critiques, l’UE reste inévitable pour faire face aux crises planétaires : 48 % estiment qu’elle est un atout pour lutter contre les défis sanitaires, 45 % contre les défis environnementaux.
- Bien sûr, elle devrait élucider les doutes sur sa capacité à agir en solidarité et en communion avec les pays : 34 % des Français ont confiance en l’UE pour faire face aux défis environnementaux.
Mais l’Europe « sociale » peine encore à s’affirmer : elle ne constitue pas forcément un atout pour répondre aux défis sociaux (c’est une faiblesse 48 % soit près d’un Français sur deux).
Ces résultats révèlent un double enjeu : l’attente d’une Europe « sociale » nécessite une intervention de l’UE sur des enjeux pour l’instant propres aux Etats (santé, sécurité, politique sociale…) ; mais elle suppose aussi et avant tout d’élargir le projet européen.
L’UE : d’un projet économique identifié à une identité politique toujours en construction
Face à ces attentes, l’UE doit élargir son projet. Aux yeux des Français, l’Union doit se déployer à trois niveaux identiques :
- L’UE doit être un projet économique nécessaire pour peser sur la scène internationale (24 %). D’ailleurs, l’atout qu’elle représente pour l’économie est réel pour 50 % des Français ;
- L’UE doit tout autant incarner un projet tourné vers les citoyens de tous les pays membres (21 %) ;
Enfin, l’UE doit rester un projet politique inévitable pour préserver la paix et promouvoir des
valeurs (21 %)
Cet élargissement du projet européen au-delà du seul champ « économique » représente une dynamique d’opinion à rebours d’une idée trop réductrice selon laquelle les attentes envers le projet européen s’y limiteraient. Mais cette demande implique pour l’UE une triple logique d’action pour les années qui viennent :
- D’abord, sur l’enjeu environnemental. A ce titre, 73 % des Français seraient favorables à une politique énergétique européenne, 68 % à une taxe carbone aux frontières de l’Europe.
- C’est ensuite sur l’aspect de la protection des personnes que l’UE est désirée : l’idée réfutée par bon nombre de dirigeants d’une armée européenne est plébiscitée par 63 % des Français, symbole ici aussi d’une ambition pour l’enjeu européen plus large qu’un simple espace économique.
Enfin, c’est sur le registre de la fiscalité que les Français attendent des réformes : 62 % d’entre eux seraient favorables à une fiscalité européenne commune (impôts, TVA…).
A travers ces différentes attentes identifiées se dessine finalement une Europe plus encline à promouvoir une véritable cohésion interétatique. Cela suppose d’œuvrer pour accélérer les ententes et amplifier une solidarité nouvelle. C’est bien d’une Europe « politique », au sens noble du mot, qu’en appellent aujourd’hui les Français.
Dans un contexte international instable : une confiance plus importante en l’UE que dans les autres puissances du monde
Les Français restent convaincus : si l’Union européenne doit changer, son projet n’en reste pas moins valide et d’actualité.
- Sur une scène internationale instable, les Français accordent prioritairement leur confiance dans les pays européens. A ce titre, ils disent à 56 % faire confiance en l’avenir de la France, 68 % en celui de l’Allemagne et 51% en celui de l’UE. Bien loin devant le Royaume Uni (28 %), la Chine (29 %) et la Russie (25 %) et même les Etats-Unis de Joe Biden qui n’obtiennent, s’agissant de leur avenir, la confiance que de 46 % des Français.
Dès lors, méfiants des poussées nationalistes, les Français veulent rester dans l’Union :
- 63 % souhaitent rester dans l’Union européenne et 66 % dans la zone euro.
Conséquence de cette ambition, les Français sont en demande d’informations vis-à-vis de l’Union européenne.
- Bien plus que son fonctionnement ou son histoire, c’est de ses actions concrètes que les Français attendent d’être informés (les réalisations concrète de l’UE, ce que fait l’UE au quotidien). S’il existe évidemment une marge de progression concernant la connaissance de son fonctionnement, les Français se montrent sur les grandes lignes, plutôt informés, en témoignent une majorité de bonnes réponses lorsqu’ils sont confrontés à des affirmations ayant trait à ses prérogatives.
Enfin, preuve d’un manque d’incarnation, Emmanuel Macron et Angela Merkel sont les deux personnalités qui représentent le mieux l’Europe pour les Français, loin devant les acteurs plus institutionnels. Cet enseignement, s’il témoigne d’une inconsistance des personnalités « de l’Union » plus que des nations qui la composent, dit beaucoup d’une Europe qui reste associée à la fois à la sphère politique « nationale » davantage qu’à une expérience commune, culturelle qui s’en détacherait, et indissociable du duo franco-allemand.
C’est donc bel et bien par l’affirmation d’un discours de preuve de l’utilité voire de l’efficacité de l’Union européenne au quotidien que le projet européen, affaibli mais toujours d’actualité, trouvera un souffle nouveau. En effet, si les Français se montrent méfiants vis-à-vis de l’avenir de l’Union européenne, c’est d’abord et avant tout parce qu’ils pointent un écueil quasiment principiel : la solidarité n’est pas au rendez-vous.
S’il ne s’agit évidemment pas d’exonérer l’Union européenne de ses responsabilités, celles-ci sont considérées comme partagées, et, à lire ce qu’en disent les Français, le problème est moins celui du principe de l’Union en elle-même que celui de sa concrétisation par les pays qui la composent qui peinent à faire vivre, dans leurs relations, la solidarité dont la communauté européenne doit être le cadre. Ce constat apparaît contre-intuitif face à une dynamique décliniste qui laisserait à penser qu’undéclin profond et insurmontable toucherait l’ensemble des puissances européennes face au reste du monde et des puissances qui la composent.
L’Union européenne résiste et reste un profond marqueur de confiance, imparfait mais indépassable face aux défis qui s’imposent à nous. Une reconnaissance de torts partagés et un appel à un engagement plus fort et plus assumé pour qu’union résonne enfin, et concrètement, avec solidarité.