L’école, l’éducation et la fabrique du citoyen
Face au doute, ce qui nous rassemble le plus ?
Depuis aussi longtemps qu’elles occupent leur place en République, l’école et l’éducation sont tout à la fois le lieu du commun le plus central et celui d’oppositions, plus ou moins idéologiques, sur leur sens, leur fonctionnement, leurs méthodes. Ainsi s’affrontent, sur les scènes médiatique, politique et intellectuelle, les tenants de ce qui serait le « pédagogisme » et ceux plus prompts à une attitude plus verticale de l’éducation, dans le rapport au savoir, dans les relations entre le maître ou la maîtresse et l’élève. Longtemps, l’institution scolaire a été le théâtre d’une querelle installée entre promoteurs d’une conception volontairement recentrée de l’école, principalement pensée autour de l’apprentissage des savoirs fondamentaux, et défenseurs d’une école laïque émancipatrice, fabrique des citoyens.
Si l’éducation peine pour le moment à s’imposer dans les débats en vue de la présidentielle de 2022, elle plane toujours sur bien des débats qui traversent notre époque. Elle est tout à la fois jugée trop stricte ou trop laxiste, trop verticale ou trop horizontale, espoir d’un pays fracturé, inégalitaire ou encore signe du déclin de la société française.
Par-delà les débats, qu’en pensent les Français ? Qu’attendent-ils de l’école ? Quelle place donner à l’école dans un monde bouleversé parfois en manque de repères ?
L’école, à la racine d’un pays qui doute
À l’heure des crises que nous connaissons, sanitaire et démocratique, le rapport à l’école et à l’éducation constitue un excellent thermomètre pour mesurer l’état de l’opinion publique.
Les Français font part de leur préoccupation : 69 % déclarent ressentir de l’inquiétude, 48 % de la déception et 24 % de la tristesse. Seuls 18 % des personnes interrogées ressentent de l’espoir lorsqu’ils pensent à l’école et l’éducation et moins d’un Français sur 10 lui associe de la joie (9%).
Un constat qui interroge tant sur la place de l’école dans son rôle d’émancipation intellectuelle que sur sa place dans son rôle d’émancipation affective, personnelle, humaine. En ligne avec ce premier constat, près de 8 Français sur 10 se disent « inquiets » lorsqu’ils pensent à l’avenir de l’école et de l’éducation en France (79 %).
Si l’on s’accorde pour attribuer théoriquement à l’école républicaine d’être, même dans les crises les plus dures, le dernier vivier d’espoir à tenir, cet enseignement est préoccupant.
Cette inquiétude sur l’avenir de l’école se nourrit d’une vision « décliniste » de notre école en France : pour 78 % des personnes interrogées, la situation de l’école et de l’éducation s’est dégradée ces cinq dernières années. Symptôme d’un pays qui doute, c’est l’une des raisons d’être de l’école qui apparaît affectée.
L’impuissance face aux inégalités
Cette inquiétude sur l’avenir de l’école procède également d’une défaillance perçue dans ses missions propres : leur capacité à lutter contre les inégalités de destin.
- L’opinion est là sans ambiguïté : plus d’un Français sur deux ne lui accorde plus sa confiance pour mener à bien cette vocation (54 %).
- Constat peut-être plus dur encore, l’école a tendance à creuser les inégalités pour 39 % des Français, et n’a ni tendance à les creuser ni à les réduire pour 42 % d’entre eux. L’école jouerait alors un rôle de stabilisation des inégalités sociales sans parvenir à répondre aux fracturations de la société.
Que répondre à ces inquiétudes ? A l’heure où la place que n’occupe pas la question de l’éducation semble vouloir être compensée par la polarisation des points de vue qui la traitent, les Français en appellent à un dépassement des querelles.
L’éducation, ce qui nous rassemble par-dessus tout ?
Au-delà des doutes, où trouver l’espoir ? D’abord dans les attentes qui, malgré les inquiétudes, se formulent : les Français veulent parler et qu’on parle d’éducation. Pour 66 % d’entre eux, l’école et l’éducation occupent jusqu’à présent une place insuffisamment importante dans la campagne présidentielle.
Et si le rassemblement et l’apaisement si souvent invoqués passaient par un réinvestissement en profondeur de l’enjeu scolaire comme socle de notre commun ?
L’école et l’éducation ne sont « ni de droite, ni de gauche » pour 73 % d’entre eux. Réticents à restreindre l’école au seul apprentissage des savoirs fondamentaux, comme cela est parfois proposé en réaction à une « dégradation » du niveau, l’horizon fixé par l’opinion est émancipateur. Pour 82 % des Français, le rôle de l’école est en effet d’apprendre les fondamentaux mais aussi les valeurs de la république.
Au moment où un enfant sur dix serait concerné par le harcèlement scolaire, c’est bel et bien à l’école d’éduquer et de lutter contre ce fléau : plus de 7 interviewés sur 10 considèrent qu’on n’accorde pas assez de moyens à l’école pour lutter contre le harcèlement.
Que celle-ci soit la racine ou le symptôme de doutes qui préoccupent en profondeur la société française, c’est de l’école, comme vecteur de l’émancipation civique, de l’instruction de tous, et de la formation des consciences, que pourrait venir le sursaut d’espoir et la capacité de projection vers l’avenir. C’est en tout cas un espoir partagé. « Le peuple qui a les meilleures écoles est le premier peuple, s’il ne l’est aujourd’hui, il le sera demain » écrivait Jules Simon. De quoi justifier une attention particulièrement indispensable à apporter à l’éducation pour répondre tout à la fois aux croyances erronées et aux problématiques vérifiées qui l’entachent.