Politique

Baromètre politique Viavoice-Libération. La nouvelle séquence politique. Janvier 2024

L’aube d’une nouvelle séquence politique

Le « macronisme introuvable » ?

L’année 2023 fut placée, pour l’exécutif et la majorité présidentielle, sous le signe de la multiplication des crises : institutionnelle avec une action parlementaire contrainte dans son effectivité par une majorité relative, internationale avec la guerre entre Israël et le Hamas enclenchée par l’attaque terroriste du 7 octobre tandis que l’importance accordée à l’Ukraine ne cesse de faiblir, législative avec la réforme des retraites et la Loi immigration. Le vote de la Loi immigration en fin d’année 2023 aura fait tanguer une majorité qui, seule face au reste, semblait encore pouvoir faire valoir son unité. Alors que le pays entre très timidement dans une campagne européenne qui s’annonce difficile pour le pouvoir en place et plus confortable pour le Rassemblement national, la désignation de Gabriel Attal comme Premier ministre et le remaniement du début du mois de janvier apparaissent comme des manoeuvres de préparation stratégiques face aux échéances électorales à venir. 

Cette nouvelle édition du baromètre politique Viavoice pour Libération prend le pouls de l’opinion dans un moment charnière. 

Climat politique et hiérarchie des priorités 

La société française est de plus en plus souvent décrite comme inclinant de plus en plus à droite. Si ce constat tendrait à être nuancé, non pas tant sur l’objective demande de davantage de régulation notamment sur le plan migratoire, mais sur l’assimilation a priori à la tradition progressiste ou à la tradition conservatrice de bien des attentes de l’opinion, force est de constater que le baromètre des popularités épouse le sens de ces intuitions. Sur les 10 personnalités politiques préférées des Français, seuls François Hollande et Fabien Roussel peuvent se prévaloir d’un parti de gauche. Le reste de ce peloton de tête est en effet occupé par des noms soit issus du centre-droit ou de la droite républicaine (Edouard Philippe, Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Nicolas Sarkozy) soit de la droite radicale (Marine Le Pen, Jordan Bardella, Marion Maréchal…). 

Sans céder à la facilité de lisser les raisons de la bienveillance relative de l’opinion vis-à-vis de ces noms – elles sont diverses –, ce constat a de quoi révéler une prime de popularité à une certaine teneur conservatrice, et à l’inverse le caractère inaudible de la majeure partie des personnalités aujourd’hui issues du camp dit « progressiste ». 

Une situation d’autant plus interpellante au regard de la hiérarchie des priorités. Les trois enjeux prioritaires aux yeux des Français, sur lesquels le gouvernement et le parlement doivent agir, restent acquis à la question sociale : pouvoir d’achat (67 %), santé (56 %, + 11 points), éducation (46 %, + 6 points). 

L’enjeu sanitaire enregistre notamment une forte hausse pour atteindre son niveau le plus haut depuis plus le mois d’août 2022 (55 %). Ce «bloc social» est suivi de prêt par un «bloc régalien»composé de la question de l’immigration (39 %) et de la sécurité des biens et des personnes (35 %). Une photographie des enjeux prioritaires qui oblige à la formulation d’une offre politique la plus complète possible. 

Confiances et crédibilités politiques

La fin d’année 2023 et l’entrée dans cette nouvelle séquence politique marque une accélération des dynamiques de confiance enclenchées dès l’été dernier, notamment s’agissant du Rassemblement national et de l’alliance des gauches à l’Assemblée nationale, celle-ci ayant été fortement impactée par les évènements internationaux survenus à l’automne et la querelle idéologico-sémantique qui s’en est suivie. L’indice de confiance politique du Rassemblement national continue de progresser, la formation de Jordan Bardella étant considérée comme la plus crédible par l’opinion pour près d’un électeur sur 4 (24 %). A l’inverse, l’indice de la NUPES descend à 11 %, son plus faible score depuis le début de la 16e législature, quand celui de la majorité Ensemble se maintient à 17 %. 

Dans le détail, s’agissant des forces politiques à gauche, le Parti socialiste et LFI ont à composer en articulant leurs points forts qui se confondent parfois avec leurs faiblesses. Dans un discrédit assez global des forces politiques de gauche, le PS sort la tête de l’eau. Le parti social-démocrate est considéré comme étant le plus en capacité de gouverner (14 %) et capable de produire des idées utiles, faisant jeu égal sur cet aspect avec les Écologistes (ex EELV), devant la France insoumise. Le PS comme EELV n’incarnent en revanche pas la «rupture avec le système actuel», trait d’image monopolisé par la France insoumise. Là encore, pour le meilleur et pour le pire: la formation de Jean-Luc Mélenchon est également considérée comme la plus inquiétante à gauche.

Concernant le Rassemblement national, cette nouvelle édition du baromètre Viavoice – Libération présente deux nouveaux indicateurs à vocation barométrique, qui seront ainsi reconduits à chaque édition du baromètre politique ces prochaines années. Premier indicateur, la perméabilité politique au vote RN.

47 % de l’opinion n’écarte pas l’éventualité d’un vote Marine Le Pen ou pour le Rassemblement national à l’avenir, une réalité pour près d’un Français sur deux. La probable candidate RN en 2027 reste considérée comme une «personnalité d’extrême-droite» dont l’élection «menacerait nos valeurs et le système démocratique» par près d’un Français sur deux (48 %), même si 41 % d’entre eux ne se reconnaissent pas dans cette affirmation, ¼ se déclarant même «pas du tout d’accord». 

Après la conquête – actée et stabilisée – de l’électorat populaire que les gauches peinent encore largement à lui disputer, c’est aux segments moins précaires de la population française qu’il semble falloir accorder de l’attention. L’affirmation selon laquelle Marine Le Pen serait une «personnalité d’extrême-droite dont l’élection menacerait nos valeurs et le système démocratique» n’est partagée que par 62 % des cadres et 55 % des partisans de la droite républicaine. Même les retraités, noyau dur de l’électorat d’Emmanuel Macron, ne sont que 57 % à partager cette affirmation. 

Autant de signes de l’érosion latente de ces digues entre la droite libérale et le Rassemblement national, autant du point de vue politique que sociologique. Une évolution progressive qui pourrait changer la philosophie d’un second tour en présence de la triple candidate à l’élection présidentielle s’agissant de la bascule des votes vers sa candidature, dans un contexte d’effritement déjà entamé du «front républicain» et d’une stratégie Insoumise centrée sur une qualification au second tour compromettant largement, en l’état, l’espoir d’une victoire finale.

Emmanuel Macron: dans la tempête, la stabilité

S’agissant de ses traits d’image, le chef de l’Etat bénéficie d’une relative stabilité, à en croire les résultats de l’enquête menée par Viavoice pour Libération. Plus d’un Français sur deux perçoit sa pratique politique comme solitaire, un sur trois comme moderne, et environ un sur quatre comme claire et au service de l’intérêt général. Le constat est sensiblement le même s’agissant de ses compétences, dont la perception par l’opinion est en ligne avec les scores enregistrés par Viavoice il y a 10 mois. 37 % des Français déclarent avoir confiance en Emmanuel Macron s’agissant de la place de la France international, devant les enjeux économiques (30 %) et la place du travail (29 %).

C’est sur la signification des récents choix politiques et à la lecture des évènements survenus en 2023 que l’intérêt advient. Le déport du chef de l’Etat vers la droite semble acté dans l’opinion: 8 % des Français positionnent l’ancien ministre de l’économie de François Hollande à gauche de l’échiquier politique contre 47 % à droite. Symbole du décalage idéologico-politique observé ces dernières années, son électorat de 2017 (1er tour) le place à «droite» à hauteur de 62 %, soit 15 points au-dessus de la moyenne. La volonté féroce de se dissocier de son prédécesseur semble avoir porté ses fruits pour Emmanuel Macron, d’abord associé à Nicolas Sarkozy (26 %), très loin devant François Hollande (7 %). Une entreprise réussie du point de vue de la dissociation personnelle et idéologique mais qui laisse songeur pour un chef d’Etat aujourd’hui associé à un prédécesseur célèbre pour son hyperprésidentialisme, là où Emmanuel Macron entendait s’évertuer à resacraliser la fonction et rester un président à la «parole rare».

Les vicissitudes du macronisme

L’année 2023 aura été un moment de mise à l’épreuve pour Emmanuel Macron, de brouillage des repères de son corpus. La «séquence retraites» était éclairante à deux niveaux. Elle avait d’abord abîmé une première fois l’image d’un président à la pratique du pouvoir moderne, se refusant à faire des promesses intenables et ainsi à ne pas les tenir, en témoigne le report de l’âge légal du départ à la retraite contrairement aux engagements précédents du chef de l’Etat. Elle avait ensuite interrogé son rapport au réformisme, la grande réforme systémique du «système à points» originellement prévue, ayant débouchée sur une réforme d’ajustement, mettant à mal les ambitions révolutionnaires d’Emmanuel Macron. 

La «séquence immigration» a présenté un intérêt autre: en collant à l’opinion, à l’inverse de l’attitude observée sur la question des retraites, le président et la majorité ont ainsi parachevé la mise à mal du «en même temps» mais aussi l’engagement originellement macroniste de s’en tenir au pragmatisme et aux réformes efficaces bien avant les symboles. 55 % des Français déplorent, indépendamment de leur opinion sur ces réformes, que la politique menée par Emmanuel Macron ne réponde plus de ce pragmatisme. A l’heure d’une bascule philosophique d’action du président de la République, c’est cette praxis macroniste qui doit être réinventée.

La nomination de Rachida Dati en tant que ministre de la Culture s’inscrit à ce titre dans ces récents ajustements. Créditée d’une côte de popularité relativement confortable à hauteur de 25 %, considérée comme «ferme» et plutôt «engagée», sa nomination apparaît comme «surprenante» aux yeux de 60 % des Français, et comme le signe d’un gouvernement marqué à droite pour un Français sur deux. Du point de vue de l’intérêt général, les choses se corsent: perçue comme opportuniste pour 65 % des Français, sa nomination est considérée comme «une bonne nouvelle pour le secteur de la culture» et «une bonne nouvelle pour la France» par seulement 22 % de l’opinion. La même proportion l’estime «proche des gens», enseignement prompte à relativiser la popularité de la nouvelle ministre de la Culture. Au-delà, ce sont aussi des principes fondateurs du macronisme qui peuvent être questionnés derrière un coup médiatique et politique probablement réussi: la prime à l’expertise, à la nouveauté et le dépassement des clivages.

Gabriel Attal, Premier ministre équilibriste? 

Cette volonté d’équilibre, passe-t-elle par la nomination de Gabriel Attal? Venu des rangs du PS, il semble que son passé ne suffise pas à réellement équilibrer les choses du point de vue politique. Considéré comme moins à droite que la pratique macronienne (32 % contre 47 %), il n’en est pas plus étiqueté à gauche. Surtout, l’opinion qui voit le nouveau Premier ministre d’un très bon oeil avec 39 % de côté de popularité, lui accorde le bénéfice de la nouveauté à Matignon, mais peut-être aussi celui du «bon sens». 

Une approche justement hyper-pragmatique et désidéologisée de l’action publique que pourrait incarner Gabriel Attal fort de ses effets d’annonce symboliques, populaires et appréciés au ministère de l’éducation nationale. Un atout d’un premier ministre perçu comme «pouvant apporter des solutions utiles aux Français» par 43 % et dont le parcours de vie ne l’empêche pas d’être considéré comme «proche des gens» par 41 % de l’opinion (contre 22 % pour Rachida Dati). 

Une carte politique qui pourrait ménager la transformation du macronisme tout en rappelant ses origines, c’est tout l’enjeu de la séquence politique qui s’ouvre, à l’aube des élections européennes. 

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Adrien Broche
Responsable des études politiques et publiées, Viavoice

 

Par :
Adrien Broche
Lola Lusteau
François Miquet-Marty
Publié le 28/01/2024

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