Politique

Baromètre politique Viavoice-Libération. La question de l’immigration – Regards et opinions. Novembre 2023

L’acte II du second quinquennat d’Emmanuel Macron
L’ouverture d’une nouvelle séquence politique et sociale

La séquence politique et sociale que l’on vit est particulière à trois niveaux : sa nature, son degré et son timing.

D’abord, elle clôt une large « séquence sociale » que la rigueur imposerait de découper en plusieurs moments : la campagne présidentielle marquée de la forte empreinte du pouvoir d’achat, la poussée inflationniste notamment accélérée par la guerre entre l’Ukraine et la Russie, une première année de second quinquennat d’Emmanuel Macron marquée au fer rouge par la séquence retraites mêlée à l’intensification de l’inflation.

Par son degré d’intensité mais aussi par sa nature, celle d’une question internationale hautement inflammable sur le plan intérieur, le pogrom du 7 octobre 2023 et la guerre déclenchée depuis ont réveillé les diffractions aussi bien extérieures que présentes dans la société française et perturbé le climat politique. Si la guerre entre l’Ukraine et la Russie avait semblé représenter un premier moment de rupture en février 2022, son importation interne avait finalement pris la seule forme d’une affectation du coût de la vie. L’attentat d’Arras, qui a coûté la vie du professeur Dominique Bernard, a achevé de réorienter le climat politique et social du moment.

C’est naturellement que l’acte « immigration » du nouveau quinquennat d’Emmanuel Macron est contraint de se dérouler dans un momentum politique peu propice à l’apaisement, déjà fort peu caractéristique des débats sur ce sujet.

Dans une telle séquence, où en est l’opinion s’agissant des grands enjeux et formations politiques ? Le nouveau baromètre politique Viavoice pour Libération entend prendre le pouls d’une opinion témoin mais aussi actrice d’un moment social particulier.

Les enjeux prioritaires : la conjonction du matériel et de l’immatériel

Premier enseignement marquant du moment, l’enjeu « pouvoir d’achat » constitue toujours la première préoccupation des Français. Le caractère concret et quotidien de cet enjeu expliquent son importance aux yeux de 67 % des Français, un score qui enregistre même une hausse de 6 points depuis le mois de septembre dernier. La question sanitaire continue d’être centrale aux yeux de 45 % de l’opinion mais poursuit ainsi son progressif recul (-4 points depuis septembre, – 9 depuis juin). A l’inverse, la question migratoire s’installe dans l’opinion et constitue le premier marqueur d’un « retour du régalien ».

38 % de la population française se déclare ainsi préoccupée par la question de l’immigration actuellement, part en augmentation de 3 points depuis le mois de septembre et de 7 points en une année. La cinquième priorité de l’opinion complète ce retour du régalien, se partageant entre le terrorisme, prioritaire pour 36 %, en hausse de 18 points suite à l’attentat contre Dominique Bernard et le lycée d’Arras, et la sécurité des biens et des personnes, à la même hauteur (36 %).

La lecture de ces enseignements fait apparaitre deux blocs : un bloc matériel-social (pouvoir d’achat, santé, retraites) suivi d’un bloc immatériel-régalien (immigration, terrorisme, sécurité). Une dynamique et un rapport de force à avoir en tête à quelques semaines du début des débats sur la loi immigration portée par Gérald Darmanin.

Crédibilités politiques : le Rassemblement national en position de force

Les récents évènements n’ont non pas réveillé les points de concorde de la société française mais ont fait apparaitre ses sujets de crispation. Les dernières actualités ont largement révélé les schismes qui affectent les gauches à un niveau de profondeur qu’il était difficile d’imaginer et de souligner. Le contexte actuel a offert une nouvelle illustration de la redistribution des engagements et donc des crédibilités politiques sur des sujets aussi inflammables que l’immigration, la lutte contre l’antisémitisme, le rapport au conflit israélo-palestinien et celui du terrorisme.

En témoignent les évolutions de l’indice de confiance politique : le Rassemblement national enregistre une hausse de 3 points et est systématiquement considéré par l’opinion comme la force politique la plus crédible sur les 6 enjeux prioritaires, qu’il s’agisse du pouvoir d’achat (19 %), de la santé (17 %), de l’éducation (19 %), de l’immigration (33 %), du terrorisme (28 %) ou de l’insécurité (27 %). L’indice de la coalition majoritaire Ensemble augmente également de deux points, quand celui de la NUPES accuse une baisse de 2 points (12 %). C’est le plus faible score de confiance enregistré par la NUPES depuis le début de cette nouvelle législature. Autre signal d’alerte : un gouffre de 11 points sépare le Rassemblement national de la NUPES en termes de crédibilité globale, soit l’écart le plus important entre ces deux formations politiques depuis le mois d’août 2022.

Une coalition politique largement affectée par le déséquilibre entre la voix du parti en position de leadership, la France insoumise, et le reste de ses composantes. Dans un climat d’opinion qui accorde peu de crédibilité globale non seulement aux composantes de la NUPES (58 % des Français) mais aussi aux mouvements politiques dans leur ensemble (38 %), le mouvement fondé par Jean-Luc Mélenchon est considéré comme la composante la plus violente et la plus radicale, mais aussi l’une des moins compétentes (à hauteur égale avec EELV) et seulement la troisième plus crédible. Pour autant, Jean-Luc Mélenchon demeure le seul candidat de gauche à avoir réuni autant de suffrages à l’élection présidentielle et reste ainsi, faute de challengers en interne, sa voix la plus forte, parce qu’aussi la plus intimidante.

L’équation NUPES était déjà difficile à résoudre : il fallait équilibrer les divergences de fond, de forme et la nécessité d’union et de sièges. Depuis le schisme relatif à la qualification du Hamas, une dimension morale s’est invitée dans l’équation. Elle aurait pu la clarifier, il semblerait que l’inverse se soit produit et qu’elle ait encore complexifié l’opération.

La question de l’immigration : les ambivalences françaises

En amont des débats sur la future loi immigration, le baromètre Viavoice Libération dresse un état de l’opinion. Premier enseignement qui donne le ton d’un débat souvent déséquilibré : près de 6 Français sur 10 se déclarent mal informés sur le sujet de l’immigration, et seuls 6 % de l’opinion s’estiment « très bien informés ». Une opinion par conséquent méfiante envers la nature du traitement de cet enjeu : 70 % s’estiment en accord avec l’affirmation selon laquelle « le sujet de l’immigration est souvent instrumentalisé par le personnel politique » et plus d’un Français sur deux estime « qu’on débat trop de l’immigration au détriment d’autres sujets ».

En dépit d’une auto-évaluation critique des Français envers leur niveau de familiarité avec le sujet, l’opinion ne se prive pas de donner son avis. Si 59 % s’estiment mal informés sur le sujet, les taux de « Ne se prononcent pas » oscillent entre 13 et 18 %. Des scores non négligeables dans l’absolu, mais faibles relativement au niveau de connaissances exprimé.

Sur le fond, les positions sont difficilement lisibles et parfois contradictoires : 68 % des Français estiment « qu’on ne parle pas assez des personnes immigrées qui s’intègrent et réussissent dans la société » et 57 % que l’immigration fait partie de l’histoire et de l’identité de la France. Mais une majorité de l’opinion estime dans le même temps que l’immigration n’est pas un phénomène positif pour la France (51 %). La moitié de la population déclare qu’elle n’est pas une opportunité du point de vue économique (50 %), pas une solution au déclin démographique (49 %) et seule une courte majorité (57 %) considère que « Les Français d’origine immigrée sont des Français comme les autres ». Un regard sévère donc, mais une absence d’opposition de principe.

S’agissant des meures potentielles de la future loi immigration, le regard de l’opinion est d’abord teinté de fermeté dans une conjoncture frappée récemment par le terrorisme : 72 % des Français se déclarent favorables à l’élargissement des conditions de retrait d’un titre de séjour et 61 % estiment que le remplacement de l’AME par une aide d’urgence est une « bonne idée ». Derrière la stricte fermeté, les nuances apparaissent vite : une majorité de l’opinion a un regard positif sur la régularisation des travailleurs des « métiers en tension », point de crispation non seulement à gauche et à droite, mais à l’intérieur même de la majorité.

Un constat révélateur des ambivalences françaises, qui semble prendre racine dans le doute d’une opinion travaillée par son niveau de vie et d’évolution, méfiante non pas par principe mais demandeuse de régulation, le tout dans un contexte de faible familiarité au sujet. A la frontière donc, souvent ténue en politique, du réel et du ressenti.

Adrien Broche
Responsable des études politiques et publiées, Viavoice

 

Par :
Adrien Broche
Lola Lusteau
François Miquet-Marty
Publié le 05/11/2023

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