Santé et interêt général

Baromètre sur l’utilité du journalisme. Retrouver le goût de l’information. Mars 2023

Dans un contexte social épineux et dans un climat de surcharge informationnelle

Quel goût pour l’information ?

Conjoncture politique, sociale et économique particulière oblige, cette nouvelle édition du baromètre Viavoice – Les Assises du journalisme sur l’utilité du journalisme – présente un double intérêt. D’abord, celui d’une prise de température de l’opinion dans un moment de tension pour la démocratie sociale, alors qu’une partie importante de la société française fait valoir son opposition au projet de réforme des retraites avancé par le gouvernement. Ensuite, celui d’une mesure du rapport des Français à leur pratique informationnelle, au goût qu’ils peuvent encore, ou non, trouver dans la démarche de s’informer.

A l’heure de la multiplication des sources et de l’amoncellement des informations elles-mêmes, quels rapports les Français entretiennent-ils avec leur pratique informationnelle ? Les différents évènements d’ampleur qui ont rythmé ces derniers mois ont-ils encouragé ou freiné leur envie de s’informer ? Quel degré et quelle nature d’information souhaitent-ils ? Autant de questions que la nouvelle édition du baromètre sur l’Utilité du journalisme entend investir.

Le journalisme, plus que jamais thermomètre de l’état de santé de la société française

Premier enseignement de la nouvelle édition du baromètre, 84 % des Français estiment que le journalisme est un métier utile. Si ce score demeure largement satisfaisant, plus de 8 Français sur 10 renouvellent leur confiance dans l’utilité du journalisme, c’est un score qui accuse une baisse de 6 points par rapport à celui enregistré au mois d’avril 2022, alors que l’actualité politique battait son plein. C’est le plus faible score d’affirmation de l’utilité du journalisme depuis le lancement du baromètre, 2 points en dessous de l’édition de février 2020 réalisée au cœur de la crise des Gilets jaunes.

Sans doute critiques d’une couverture médiatique jugée trop partisane, ce sont les publics les moins défavorables à la réforme des retraites qui enregistrent les plus fortes baisses, au-dessus de la moyenne nationale : – 9 points pour les 60 ans et plus, – 14 points pour les cadres, – 9 points pour les retraités. A titre de comparaison, les ouvriers et employés sont 80 % à estimer que le journalisme est un métier utile, une baisse à hauteur de la moyenne (- 6 points).

Une année plus tard, une vue rapide sur l’état du débat public révèle un durcissement du climat, alors que la société française est entrée depuis maintenant plusieurs semaines dans une crise sociale et politique aigue. Dès lors, c’est le journalisme non seulement comme métier, mais comme « institution », dont l’édition 2022 avait souligné la vocation de pilier démocratique, qui se trouve bousculé : 83 % des Français estiment que le journalisme existera toujours, qu’on ne peut pas imaginer une société sans médias (soit une baisse de 4 points par rapport à la dernière édition) et 81 % estiment que le journalisme est indispensable dans une société démocratique, en baisse aussi de 3 points. S’il convient de garder à l’esprit que les niveaux de confiance dans l’utilité de la profession restent élevés, ces légers reculs, à indexer à la conjoncture socio-politique sont à prendre au sérieux.

Cette nouvelle édition du baromètre sur l’utilité du journalisme laisse aussi entrevoir les signes d’une relativisation, à nuancer certes, de la centralité de l’information professionnelle : 76 % de l’opinion accordent d’abord leur confiance à l’information qu’ils trouvent par eux-mêmes dans les médias professionnels, soit 2 points de moins qu’en avril 2022, 67 % estiment « qu’on peut trouver des informations fiables en dehors des médias de référence », score en hausse de 3 points, et seulement un peu plus d’un tiers de l’opinion est en accord avec l’affirmation selon laquelle « une information de qualité se paie, elle n’est pas gratuite » (- 3 points). Ces indicateurs, destinés à prendre le pouls de l’opinion, témoignent autant de la solidité de l’institution journalistique, les niveaux restant élevés, que du niveau de tension important dans la société française.

En ligne avec les enseignements précédents, ce sont sur les périmètres d’intervention en lien direct avec le débat public que les baisses de confiance sont les plus significatives : la vie politique (- 4 points), les questions de société (- 5 points) et surtout l’économie, domaine sur lequel l’information recueille la confiance de seulement un peu plus d’un Français sur deux (54 %) et qui accuse une baisse de 8 points par rapport à l’édition précédente.

Plus que jamais, le niveau d’affirmation de l’utilité du métier de journaliste s’avère donc un excellent indicateur et révélateur du climat social et politique de la société française. Qu’en est-il néanmoins du « goût » des Français pour l’information ?

L’opinion et le goût de l’information

Le rapport à l’information

Si la nature de l’information souhaitée semble un sujet à prendre au sérieux tant il apparaît plus que jamais que le journalisme constitue un excellent thermomètre de l’état de santé démocratique et social de la France, la société française ne montre aucun signe d’apathie informationnelle. Plus de 9 Français sur 10 déclarent s’informer au moins une fois par semaine, quel que soit le canal d’information utilisé (95 %), 7 Français sur 10 déclarant même le faire « tous les jours » (69 %).

Dans son rapport à l’information personnelle, l’opinion est une nouvelle fois rassurante : 88 % estiment que « s’informer » est « quelque chose d’utile », 87 % que c’est « quelque chose de nécessaire », 84 % que s’informer est « indispensable en tant que citoyen ». Seuls 6 Français sur 10 jugent néanmoins que s’informer est « quelque chose de plaisant », plus d’un tiers de l’opinion affirmant le contraire (35 %). Ce sont par ailleurs sur les questions de société (60 %) et la santé (59 %) que les Français s’informent le plus souvent, mais aussi les faits divers (53 %) et l’économie (52 %). Enseignement à entendre dans un contexte d’urgence climatique de plus en plus prégnant, moins d’un Français sur deux s’informe régulièrement sur cette thématique (48 %) : un signal qui doit autant questionner la réception et que l’émission de l’information climatique.

Dans une conjoncture politique qui place les sujets nationaux au cœur des préoccupations, c’est logiquement au niveau national que l’opinion se déclare prioritairement intéressée en termes d’information (74 %). Le niveau local n’est pas en reste, 43 % des Français se déclarant intéressés par l’information qui concerne leur ville. Les échelons supranationaux (Europe, monde) ne suscitent l’intérêt que de respectivement 18 % et 30 % des Français.

Les Français et l’évolution de l’information : malgré les critiques, la persistance d’un goût pour l’information

Crise sanitaire, campagnes présidentielle et législative, guerre en Ukraine, crise inflationniste, énergie, crise sociale : les évènements d’actualité sociale et politique ont fait légion depuis maintenant plus d’un an. Face à cette accumulation, l’opinion se montre divisée : pour un Français sur quatre, ces trois dernières années marquées dans leur ensemble, ont plutôt renforcé leur goût de s’informer (26 %) quand un tiers de l’opinion (32 %) déclare qu’elles leur ont plutôt donné le sentiment d’avoir perdu le goût de s’informer. En cause concernant ce dernier public : une information considérée comme trop anxiogène (74 %) et un journalisme qui se répète (73 %). A regarder dans le détail, les signaux sont néanmoins plus encourageants : en ligne avec les enseignements précédents et des scores élevés d’attachement à l’utilité du journalisme, les Français n’ont pas perdu le goût de l’information. Les incendies et sécheresses liées à l’urgence climatique (51 %), le débat sur la réforme des retraites (46 %), la guerre en Ukraine (46 %) sont autant d’évènements qui ont incité près d’un Français sur deux à davantage s’informer.

S’agissant de la qualité de l’information, une courte majorité de Français estime que la qualité de l’information délivrée par les journalistes s’est détériorée ces dernières années (54 %) : l’information est « parfois fausse et trop vite relayée » pour 74 % des Français, critique qui entre en résonnance directe avec l’attente principale formulée envers les journalistes, celle de la vérification des informations fausses et des rumeurs (62 %, voir première partie barométrique). La partialité des journalistes est ensuite pointée par 70 % des Français, devant le fait qu’ils se répètent, signal qui alerte à nouveau sur un climat d’obésité informationnelle qui nuit à la bonne sélection de l’information. Pour nourrir les réflexions sur les voies à emprunter, notons qu’un tiers de l’opinion estime que la qualité de l’information délivrée par les journalistes s’est améliorée, grâce à une information qui sert au débat public (59 %) et qui est claire (55 %).

L’impact de l’information sur les opinions et son avenir souhaité : une information vérifiée et impartiale

Interrogés sur l’impact qu’ils souhaitent que l’information ait sur leur opinion, les Français sont une large majorité à n’attendre ni une confirmation ni une infirmation de leur opinion (69 %). En manque d’information sur les enjeux scientifiques, l’attente apparaît néanmoins importante. En effet, plus d’un Français sur deux déclarent que les incendies et sécheresses liés à l’urgence climatique survenus ces derniers temps ont fait évoluer leur perception du sujet.

A l’heure de la multiplication des sources et des canaux d’information qui nuit à la clarté et à la construction saine des avis citoyens, c’est avant tout à un travail de filtre, de sélection des informations que les Français en appellent. Davantage que faire ou défaire une opinion, il s’agit de créer les conditions de sa formulation. Cela passera par une information toujours mieux vérifiée (63 %), enjeu de régulation informationnelle, moins orientée et plus impartiale (57 %).

Malgré les doutes d’une société française heurtée par les crises, les résultats du baromètre révèlent qu’elle n’a pas perdu le goût de s’informer. Priorité doit être donnée, à en écouter les Français, à une démarche d’humilité informationnelle : vérification, clarté et impartialité sont, à en écouter les Français, les voies à emprunter pour renforcer le goût de l’information. Le défi climatique doit en être un terrain d’application.

Adrien Broche
Responsable des études politiques et publiées

Par :
Adrien Broche
Margot Hoché
Publié le 28/03/2023

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