Réglementer : pour ou contre la planète ?
L’insoluble casse-tête de la transition écologique
L’année politique s’est ouverte sur une crise sociale majeure représentée par le mouvement de colère des agriculteurs. Sa particularité résidait dans son caractère largement métapolitique, qui a transcendé à bien des égards les traditionnels clivages partisans. A la fois rendue responsable d’une utilisation des sols bien souvent néfaste à la planète, l’agriculture est à la fois l’un des meilleurs bras armés de l’outillage de la transition écologique. Responsables donc, mais aussi victimes d’une réglementation européenne parfois difficilement lisible dans l’opinion, comme si l’enjeu était moins celui des objectifs, largement partagés, que de la méthode. En somme, le mouvement social des agriculteurs a mis au jour l’insoluble casse-tête de la transition écologique.
Cette première édition du nouveau baromètre Viavoice – HEC Paris, L’Obs et France info s’inscrit dans un contexte qui lui a donné son nom : celui qui place au coeur de l’équation politique et sociale la question des Transitions.
L’environnement et les entreprises : un constat timide, une dynamique clairement identifiée
L’évaluation par les cadres et les actifs Français de l’engagement de leur entreprise ou organisme vis-à-vis de la transition écologique se fait dans un cadre plus large qui voit l’opinion clairement sensibilisée à la problématique :
77 % des cadres et 69 % des Français en général se déclarent inquiets s’agissant du changement climatique. Les proportions respectives se disant même «très inquiète» s’élèvent même à un cadre sur trois (34 %) et un Français sur quatre (25 %). Si quelques différences sont à noter s’agissant du détail de cette inquiétude, elle se révèle relativement transgénérationnelle. Les résultats de cette première édition du baromètre des Transitions tordent même le cou à l’idée souvent véhiculée selon laquelle les plus jeunes seraient les plus sensibilisés et inquiets.
En effet, si 69 % des 18 – 24 font part de leur inquiétude, c’est un score en ligne avec la moyenne, et même inférieur à la catégorie 50 – 64 ans dont la part de Français inquiets s’élève à 76 %.
L’engagement perçu des entreprises ne recouvre que partiellement ce niveau d’inquiétude populaire et tempère ce constat. L’étude menée par Viavoice pour HEC Paris, L’Obs et France info révèle à ce titre que les cadres comme les actifs en général coupés en deux :
- La moitié des cadres français estiment que l’entreprise ou l’organisme pour lequel ils travaillent est engagée sur les enjeux environnementaux quand l’autre moitié pointe un manque d’engagement.
- Le constat est similaire s’agissant de la catégorie des actifs dans son ensemble : 45 % estiment leur entreprise engagée quand 48 % font le constat inverse.
S’agissant de la perception des dynamiques d’engagement, les données d’opinion de l’étude menée par Viavoice permettent l’optimisme : 6 cadres sur 10 et plus de la moitié des Français actifs estiment que, sur les trois dernières années, leur entreprise est davantage engagée sur les enjeux environnementaux. Auprès de chacun de ces deux publics, un tiers reste peu convaincu (respectement 34 %
et 36 %).
Invités à se positionner sur un choix opposant volontairement croissance économique et protection de l’environnement, le rapport de forces varie sensiblement selon les publics. Si une majorité de cadres (55 %) souhaitent en effet privilégier la protection de l’environnement quitte à nuire à la croissance économique, les Français se montrent plus partagés : 43 % déclarent partager cette position mais plus d’un tiers (35 %) souhaite privilégier la croissance économique quitte à nuire à l’environnement. De quoi tempérer les volontés d’une opinion pourtant très largement inquiète pour le climat (69 %) mais qui continue de placer le pouvoir d’achat et l’emploi largement devant les enjeux climatiques s’agissant de ses priorités.
La question agricole, l’Europe et l’économie : un symbole des tiraillements
A en croire les données issues de cette 1ère édition du baromètre des Transitions, l’impact des règlementations européennes sur l’économie divise :
- Un tiers des cadres estiment qu’elles favorisent les entreprises de l’UE sur le long terme mais pour près de la moitié (46 %), le droit européen les défavorise.
- Aux yeux de la moitié des Français (50 %), ces réglementations défavorisent les entreprises européennes quand seul 26 % estiment qu’elles les servent.
Un constat sévère mais auquel devront s’accommoder les opinions si, comme elles y appellent, la priorité doit être accordée à la protection environnementale sur la croissance économique.
En conséquence, si 56 % des cadres estiment qu’il est nécessaire, pour répondre à la crise du monde agricole, de revenir sur les normes imposées aux agriculteurs, ils sont 68 % dans la population française globale. La part d’acceptation de sacrifices se révèle, en déclaratif, importante : massive chez les cadres, 7 sur 10 étant d’accord avec l’affirmation selon laquelle «pour réussir la transition écologique, il faut accepter de changer nos modes de production agricole, quel que soit le prix à payer», elle est aussi majoritaire chez les Français (56 %).
Ce «prix à payer» se heurte néanmoins très rapidement au mur de la réalité sociale : si les Français se déclarent prêts à acheter local, à favoriser les circuits-courts et les produits non transformés, seuls 51 % des cadres et 38 % des Français semblent disposer à faire ce pas. Disposés, ou tout simplement capables. Un gouffre semble donc toujours séparer les idéaux de la réalité des sacrifices du quotidien… à moins d’une meilleure répartition des coûts du «mieux consommer» pour affaiblir l’obstacle matériel.
Adrien Broche et François Miquet-Marty
Viavoice