A l’approche des élections européennes
Regards comparés sur les intentions de vote
À moins de trois semaines des élections européennes, quelles sont les intentions de vote exprimées par le corps électoral français ? Quelles sont les caractéristiques sociologiques, et idéologiques des différents potentiels électoraux ? Quelles sont les différences de capacité de mobilisation des différentes listes ? Ce sont les questions que Viavoice et Libération se sont donnés pour mission d’explorer dans le cadre de cette étude des intentions de vote.
Etat des lieux des intentions de vote : la course « seul en tête » du Rassemblement national
La photographie des intentions de vote réalisée par Viavoice pour Libération se structure autour d’un trio désormais installé depuis de nombreuses semaines. La liste du Rassemblement national, conduite par Jordan Bardella, bénéficie de 32 % des intentions de vote exprimées, soit près d’un Français sur trois qui entend avec certitude se rendre aux urnes le 9 juin prochain. Faisant seule la course en tête, la liste RN regarde son dauphin de loin : Valérie Hayer, à la tête de la liste soutenue par le Président de la République et la majorité, recueille 17 % des intentions de vote. Elle conserve néanmoins une avance relativement solide sur Raphaël Glucksmann, tête de liste Place publique/Parti socialiste.
La suite de la « course » se joue dans un mouchoir de poche : les listes Les Ecologistes, La France insoumise, Les Républicains et Reconquête bataillent pour la quatrième place, récoltant de 7 % à 6 % des intentions de vote.
Les caractéristiques sociodémographiques des principales listes : un Rassemblement national qui poursuit son extension, un parti présidentiel asséché
L’analyse du profil sociologique des intentions de vote exprimées pour les listes en tête confirment des dynamiques engagées depuis maintenant plusieurs mois. Le Rassemblement national, emmené par Jordan Bardella, parvient plus que jamais à étendre sa capacité d’attraction à presque toutes les strates générationnelles et professionnelles de la société française. Si son assise chez les ouvriers et employés est stable (48 % et 38 %), la liste RN séduirait 30 % des cadres et professions intellectuelles supérieures. Du point de vue générationnel, seuls les 65 ans et plus échappent encore à la tentation du vote RN. Pour l’instant… parce qu’avec 26 % d’intentions de vote, la liste RN est au coude-à-coude avec celle de la majorité, même au sein de cette frange de l’électorat.
Pour prendre conscience de son attractivité : la liste RN est aujourd’hui la première liste chez les moins de 35 ans et les 35 – 63 ans. Elle est en tête dans toutes les catégories socio- professionnelles : chez les cadres, les professions intermédiaires, les employés et les ouvriers.
Face à un parti qui poursuit sa pleine extension, le parti présidentiel poursuit lui sa pleine rétractation : la liste Renaissance-Horizons-UDI-MD ne recueille que 5 % des intentions de vote des 18-35 ans et n’imprime pas chez son public historiquement « cible » : les cadres (11 %). Son salut passe encore par les électeurs âgés de 65 ans et plus (27 %) qui, eux-aussi, montrent de plus en plus de signes d’éloignement.
Enfin, la liste PS/PP conduite par Raphaël Glucksmann prend pour assise le public Cadres (23 %) et séduirait 18 % des électeurs séniors. Un socle qui compense une faiblesse de taille : la difficulté à séduire l’électorat jeune (6 %), plus de deux fois plus nombreux à lui préférer la liste La France insoumise (14 %), comme un miroir inversé.
De lourds différentiels de mobilisation électorale
Les résultats de l’intention de vote mettent en lumière d’importantes différences dans les capacités des listes à mobiliser leur électorat. A ce jeu, la liste Rassemblement national et Jordan Bardella impressionnent, avec un taux potentiel de conversion colossal : 87 % des électeurs de Marine Le Pen lors de l’élection présidentielle de 2022 envisagent de voter pour la liste RN le 9 juin prochain. Une force de mobilisation que ne peuvent qu’envier ses concurrents. Valérie Hayer ne parviendrait à séduire que 57 % des électeurs d’Emmanuel Macron, donnée qui, cumulée à une absence de capacité à attirer parmi les autres foyers électoraux, expliquent la distance qui la sépare de J. Bardella.
Les infidélités électorales sont par ailleurs inégales : si la liste Rassemblement national parviendrait à séduire 13 % de l’électorat macroniste, seul 1% de l’électorat de Marine Le Pen envisagerait de voter pour la liste présidentielle.
La certitude de choix : une variable potentiellement décisive à gauche
La lecture des résultats à l’aune de la certitude du choix exprimée révèle de forts enseignements. Les listes Rassemblement national, Renaissance, La France insoumise et Reconquête bénéficient d’une « tranquillité » vis-à-vis de la mobilité de leur électorat, certains entre 83 % et 70 % de leur choix.
Les choses sont plus délicates ailleurs, notamment s’agissant des gauches socialiste et écologiste : seuls 65 % des électeurs potentiels de Raphaël Glucksmann et – plus alternant encore – 55 % de ceux de Marie Toussaint (Les écologistes) se disent « sûrs » de leur choix quand respectivement 35 % et 45 % déclarent pouvoir changer d’avis. De quoi y lire un potentiel transfert de vote entre les deux formations, voire avec d’autres listes (LFI, Renaissance), hypothèse moins plausible.
Exploitant une France qui ne se sent pas prise en compte dans la société dans laquelle elle évolue (40 %) et en proie au sentiment de déclassement (40 %), la liste conduite par Jordan Bardella conjugue trois axes de force : forte capacité de mobilisation, forte aptitude de « triangulation » des électorats et forte capacité de verrouillage de son potentiel électoral. Le résultat d’une démarche de longue date, couplé des démissions de différents ordres propres à ses adversaires. De quoi s’assurer une assise confortable, et des économies d’énergie.
Adrien Broche, Responsable des études politiques