Les transports de la colère
Les violences verbales sur la route,ou les singuliers engrenages de nos pulsions.
Bachi-Bouzouk ! Cercopithèque ! Moule à gaufres ! Que disent nos insultes, nos violences verbales de notre société et de nos vies quotidiennes ? Exutoire, dégradation du lien social, « ensauvagement »… ? Sur la route, semblent fleurir des anathèmes qui opposent des « tribus de mobilités » les unes aux autres… Vélos en Don Quichotte à l’assaut des autos ou inversement, piétons en bisbille contre trottinettes ou inversement… Serait-il possible de s’affranchir de ces tensions, au moins partiellement ?
Cette étude d’opinion exclusive Viavoice– Macif– Fondation Jean-Jaurès révèle une situation souvent inquiétante par la fréquence des violences verbales mais également par la fréquente existence d’engrenages, de « cercles vicieux » qui nourrissent ces univers de violences.
Augmentations et intensifications perçues
Près de 8 Français sur 10 (77 %) déclarent faire preuve de violences verbales adressées à d’autres : 65 % disent utiliser des « gros mots » envers les autres « de temps en temps » et 12 % « tous les jours… ». Et ces violences sont perçues en expansion : 86 % estiment que, ces dernières années, la violence verbale est plus répandue. À cette donnée quantitative s’ajoute une lecture qualitative : 81 % estiment que cette violence verbale est « plus intense » qu’il y a quelques années.
S’agissant des espaces de circulation de cette violence, les réseaux sociaux (71 %) mais également la rue (65 %) sont considérés comme les lieux les plus propices ; des espaces « extérieurs » en contrepoint à la vie personnelle et intime souvent désirée comme un refuge.
Le paradoxe des violences, ou le sentiment d’une inutilité
Cette augmentation, cette intensification sont d’autant plus singulières qu’elles sont généralement perçues comme inutiles… 82 % des Français estiment que ces violences ne permettent pas de « régler les problèmes » et 75 % ne les jugent « pas nécessaires ».
Singuliers engrenages de nos pulsions
La violence verbale ne va pas de soi. Aux yeux des intéressés eux-mêmes, se met volontiers en place une « dynamique », un cercle vicieux qui appelle la violence :
- Une confrontation des mobilités : un espace public de « concurrences », où la mobilité de l’autre apparaît volontiers contrariante ;
- Des sentiments très puissants de « libertés » associés à chaque mobilité (64 % des automobilistes, 64 % également des piétons et 65 % des cyclistes associent leur mobilité à une « liberté ») : dès lors la présence de l’autre, et a fortiori ses incivilités, apparaissent comme des atteintes à ces libertés ;
- À cela s’ajoute le risque et la peur : les causes « immédiates » de violences verbales sont des comportements « à risque » (queue de poisson, véhicule trop proche, absence de clignotant), et en conséquence des violences verbales provoquées par une « peur de l’accident » (66 %)…
Et le couperet tombe : 67 % des Français déclarer prononcer des insultes sur la route et près d’un tiers estiment en prononcer davantage que lorsqu’ils ne sont pas sur la route…
Les solutions : musique, prise de recul et prévention
Que faire ? « Sur le moment », beaucoup tentent de se maîtriser, c’est-à-dire de s’évader, que ce soit par la musique (57 %) ou par la relativisation (53 %).
Mais ces réponses sont immédiates… Sur le fond, 56 % des Français estiment possible de « faire de la prévention », pour sensibiliser et éviter ces « vaines tensions ». De fait, ces violences sont majoritairement imputées à un manque de civilité (56 %), mais aussi de discipline (38 %) et d’éducation (33 %). De quoi voir une marge de progression et les conditions de construction d’un espace préventif, et plus apaisé, que beaucoup appellent de leurs vœux.
L’insulte n’est pas une fatalité, Tonnerre de Brest !
Lola Lusteau, Adrien Broche et François Miquet-Marty
Viavoice