Activités non déclarés : travail au noir, marché noir et multi-trafics
Une « contre-société » en développement, très majoritairement critiquée.
Mais une « contre-société » également légitimée, et dans certains cas acceptée, par un grand nombre de Français
Les activités non déclarées, l’économie parallèle, le travail « au noir » ou la vente de produits hors des circuits légaux… toutes ces activités se développent aujourd’hui, selon les Français, à la faveur de deux facteurs : le développement de l’économie numérique, qui permet de dissimuler par exemple des activités de travail au noir ou des échanges (achats-ventes) de produits sans formalités (fiscales notamment) ; la crise économique et les difficultés sociales ensuite qui, selon les sondés, encouragent la « débrouille », les activités non déclarées permettant par exemple d’arrondir les fins de mois.
Au-delà d’une vision binaire de ce qui constitue une « contre-société » ou une économie parallèle, notre étude fait ressortir, de manière précise et inédite, les perceptions d’une opinion publique à la fois en attente de fermeté et de souplesse sur ces questions. Avec aussi une demande de réhabilitation de l’ «économie réelle».
Des activités parallèles (non déclarées) qui se développent, largement critiquées au nom de la moralité, de l’honnêteté et de l’intérêt collectif
De manière globale, les activités non déclarées sont perçues comme en fort et rapide développement dans notre pays : 79 % des Français pensent ainsi qu’il s’agit d’un phénomène « de plus en plus fréquent », voire même très récent : 51 % des personnes percevant un développement du phénomène pensent qu’il s’est surtout aggravé depuis deux ou trois ans.
De plus, ce développement récent des activités non-déclarées apparaît général, quel que soit le marché ou le type de produit ou service envisagés : 70 % des personnes interrogées pensent ainsi que « le travail au noir » s’est développé récemment dans notre pays, de même que la contrebande de cigarettes (78 %) ou, dans un tout autre registre, la location d’appartements, de maisons, d’objets, de voitures via Internet (89 %).
Or cette tendance inquiète majoritairement l’opinion publique, pour plusieurs raisons :
– Compte tenu du « manque à gagner » pour le budget de l’Etat et de la Sécurité sociale, et donc indirectement les services publics (74 %) ;
– Pour l’impact de ces activités sur l’emploi : 71 % des personnes interrogées pensent que ces activités menacent les emplois déclarés et les circuits légaux de vente ;
– Enfin, pour les personnes s’adonnant à ces activités eux-mêmes, qu’il s’agisse des risques légaux (sanctions financières ou pénales) cités par 82 % des personnes interrogées ou des risques induits en matière santé (produits toxiques, ne respectant pas les normes…) ou de protection sociale (pas de retraite ni d’assurance maladie ni de couverture des accidents du travail pour les travailleurs « au noir ») cités par 78 %.
Ainsi, la critique de ces pratiques s’appuie en réalité sur deux types d’arguments justifiant leur rejet par la société :
– Un argument moral, liée à l’illégalité de ces pratiques, très majoritairement assimilées à un « système parallèle » : 61 % des Français jugent ainsi ces activités non déclarées comme « anormales », et 78 % ont une image négative des personnes vivant totalement en dehors du système légal ;
– Un argument social, collectif : 41 % des Français pensent que l’accentuation de ces phénomènes et leurs conséquences pour la société sont un problème « de première importance », et 41 % un problème « secondaire » mais bien réel.
Ces deux types d’arguments sont puissants car ils s’appuient sur les principales valeurs mises en avant par l’opinion publique : « honnêteté », mais aussi « respect » (de « l’autre », de soi, du collectif), respectivement cités par 50 % et 52 % des personnes interrogées comme les valeurs auxquelles ils sont le plus attachés.
Dans le même temps, des activités non déclarées souvent justifiées aux yeux du plus grand nombre par les difficultés individuelles (emploi, pouvoir d’achat…)
Si les activités non déclarées n’ont globalement pas bonne presse dans l’opinion publique, elles bénéficient toutefois, paradoxalement, d’une certaine acceptation voire même d’une certaine légitimité dans certains cas :
– Globalement, plus d’un quart des Français les considère comme « normales » a priori (28 %) et 44 % avancent que, même si elles sont illégales, « on peut les tolérer » ;
– A l’inverse, seuls 21 % des Français (les plus « légalistes ») pensent que « quoi qu’il arrive « il n’y a pas de raison suffisantes pour avoir des activités non-déclarées, contre 38 % qui pensent qu’ « il est compréhensible d’avoir des activités non déclarées pour avoir un petit complément de rémunération » et 35 % qu’ « il est parfois nécessaire d’avoir des activités non-déclarées, sinon on ne s’en sort pas ».
Ainsi, au-delà du positionnement général, très critique envers l’économie parallèle, l’idée que certaines personnes « arrondissent leurs fins de mois » par ces activités choque moins : une personne vivant en partie dans le système légal et en partie en dehors du système légal bénéficie d’une meilleure perception de la part de l’opinion – seulement 47 % d’opinions négatives – qu’une personne vivant totalement en dehors du système légal (78 % d’opinions négatives).
De même, si 72 % des Français jugent le travail au noir « dangereux », et 67 % « nuisible », ils sont également 64 % à le juger « inévitable » et 40 % « nécessaire » parfois. Enfin, 76 % d’entre eux pensent que les personnes qui font travailler d’autres personnes au noir le font surtout « par nécessité, parce que c’est moins cher et qu’elles ne pourraient pas faire autrement ».
Pédagogie, fermeté et aides pour l’économie réelle au cœur des solutions pour demain
Face à cette situation complexe – risques sanitaires ou sociaux et immoralité des activités non déclarées d’un côté, bénéfices essentiels et légitimes parfois de l’autre – les mesures préconisées par les Français appellent plutôt à la clémence et au pragmatisme :
– Au-delà de la fermeté, davantage de pédagogie : si 33 % des personnes interrogées pensent que les pouvoirs publics doivent agir avec plus de fermeté et appliquer des sanctions, 44 % pensent à l’inverse que c’est par la pédagogie et des campagnes de dissuasion et d’explication sur les risques encourus que l’on parviendra à bout du phénomène ;
– Une meilleure adaptation de l’économie réelle : alléger les taxes sur les produits vendus dans le circuit légal (68 %) ou limiter les normes et les contraintes pesant sur les entreprises (53 %) sont ainsi perçus comme des mesures prioritaires pour lutter contre le marché noir, les multi-trafics et le travail au noir.