À l’issue du grand débat…
Un sentiment démocratique qui progresse en France sans pour autant remettre en cause la « fracture démocratique » qui s’est exprimée ces derniers mois
Comment se porte la démocratie en France ? Les derniers évènements politiques et sociaux ne plaident pas pour une réponse unique à cette question.
D’une part, le mouvement des gilets jaunes a montré un profond malaise démocratique parmi une partie de la population française, qui se sentait jusqu’ici insuffisamment représentée ou insuffisamment écoutée, et qui a donc cherché à inventer de nouveaux modes de mobilisation pour se faire entendre : occupation des ronds-points, moded’organisation horizontale et refus de toute hiérarchie, mobilisation via les réseaux sociaux…
Cette mobilisation – pouvant être perçue à bien des égards comme l’expression d’unecertaine vitalité démocratique, puisqu’elle remettait au centre du débat des citoyens qui étaient pour beaucoup éloignés de la vie politique – a aussi donné lieu à des débordements, des violences, ou à des expressions antidémocratiques et autoritaires. Cette dualité dans le mouvement des gilets jaunes peut expliquer l’opinion mitigée qui est portée par les Français sur l’impact démocratique du mouvement : 20 % d’entre eux pensent qu’il a eu un impact positif sur la démocratie, 24 % un impact négatif, et surtout 45 % perçoivent un impact « à la fois positif et négatif ». Surtout, on remarque que les avis sont partagés y compris au sein des soutiens ou des opposants aux gilets jaunes : ainsi les personnes soutenant le mouvement sont 54 % à percevoir des impacts à la fois positifs et négatifs sur la démocratie, comme 35 % des personnes opposées au mouvement.
Grand débat ou gilets jaunes : des bilans contrastés pour la démocratie selon les Français
En réponse à ce mouvement des gilets jaunes, l’organisation du « grand débat national » a une nouvelle fois été l’occasion de mesurer l’état de notre démocratie, de ses succès et de ses limites. Un relatif succès d’abord, pour une consultation publique organisée à une échelle nationale sur des sujets aussi variés, sans équivalent dans l’Histoire de notre pays, sauf à remonter aux cahiers de doléances réalisés pour les Etats généraux de 1789.
Or, en dépit des nombreuses critiques initiales, le « grand débat national » a permisl’expression démocratique de millions de Français, sur une grande partie du territoire.
Dès lors cette initiative est saluée par une large majorité de l’opinion publique qui considère que le grand débat non seulement était « une bonne manière de faire remonter les attentes des Français » (65 %) mais aussi était « nécessaire compte tenu des conflits sociaux récents » (71 %) et enfin plutôt « bien organisé » (53 %).
Mais les opinons sur le grand débat sont également mitigées, avec l’idée majoritaire (71 %) selon laquelle il aurait aussi été « surtout un moyen de communication pour le Président de la République et le gouvernement ».
Satisfaits mais sceptiques, dans un sens comme dans l’autre, les Français montrent ainsi une vision complexe des évènements de ces derniers mois.
Un sentiment démocratique qui progresse depuis septembre (43 %, +9 points)
Pour mesurer pleinement l’impact de cette actualité récente, il est également intéressant de souligner les évolutions du « sentiment démocratique » des Français ces dernières années (et ces derniers mois).
On mesure aujourd’hui 43 % de citoyens français déclarant que « la démocratie fonctionne bien » en France : un chiffre à la fois en forte progression (+9) depuis septembre dernier, juste avant le mouvement des gilets jaunes, mais aussi moins élevé qu’en janvier 2018, où il culminait à 54 % (son plus haut niveau depuis 2014).
Dans le détail, cette progression du sentiment démocratique est d’ailleurs significatif dans toutes les catégories de population, même si elle n’efface pas les fractures existantes :
– Des fractures territoriales, avec un écart entre les habitants de communes rurales (39 %) ou d’agglomérations de moins de 20 000 habitants (40 %) d’une part, et les habitants de l’agglomération parisienne (48 %) d’autre part ;
– Mais surtout des fractures sociales très importantes, entre des cadres (52 %) et des professions intermédiaires (58 %) majoritairement satisfaits du fonctionnement de la démocratie, et des catégories populaires (employés et ouvriers) qui le sont beaucoup moins (33 %).
Une corrélation forte entre l’opinion portée sur le fonctionnement de la démocratie et le soutien ou l’opposition aux gilets jaunes
Or ces fractures ne sont pas anodines puisque de ce « sentiment démocratique » découle directement l’opinion qui est portée sur les évènements de ces derniers mois.
Né d’une « révolte fiscale », le mouvement des gilets jaunes n’en est pas moins également une révolte des « oubliés de la démocratie » : parmi les 10 % de Français déclarantaujourd’hui être personnellement des « gilets jaunes », seuls 19 % d’entre eux pensent que la démocratie fonctionne bien. Les personnes soutenant le mouvement sans pour autants’être mobilisés sont quant à eux 32 % à considérer que la démocratie fonctionne bien. Enfin, les personnes opposées au mouvement – ou en tout cas ne le soutenant pas – sont àl’inverse les plus satisfaits du système démocratique actuel (à 63 %).
Ainsi cette fracture démocratique se superpose aux fractures politiques, sociales et territoriales très largement commentées dans le débat public ces derniers mois. Il apparaît donc essentiel de la résoudre non seulement pour améliorer le fonctionnement de la démocratie, mais aussi pour réconcilier et apaiser la société française.
Pour demain : des citoyens en attente de consultations plus régulières
Dans ce contexte, quelles solutions sont attendues par les citoyens pour résoudre cette fracture démocratique qui s’est exprimée fortement ces derniers mois ?
En premier lieu, les attentes citoyennes vont d’abord vers la réalisation de consultations plus régulières ou plus systématiques, tant à l’échelle nationale que locale. Ainsi une très large majorité d’entre eux pensent qu’il serait important pour la démocratie de :
– « Rendre obligatoire la consultation des citoyens au niveau local avant tout grand projetd’aménagement ou toute politique locale importante » (72 %), alors que se multiplient les oppositions locales à certains grands travaux (le plus emblématique étant l’abandonde la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes en janvier 2018) ;
– « Rendre obligatoire la consultation des citoyens avant tout grand projet de loi », donc au niveau national, également (68 %) ;
– « Organiser des consultations en ligne, permettant aux citoyens de donner leur avis sur Internet » (71 %) ;
– Ou encore « interroger les citoyens sur des grands enjeux de politiques publiques lors des élections, à travers une consultation par questionnaire » (71 %)
Une majorité de Français favorables à un « RIC » accompagné de garde-fous démocratiques
Le référendum d’initiative citoyenne, devenu au fil du mouvement une des revendications phares des gilets jaunes, est aussi populaire avec 62 % de personnes interrogées favorables à son inscription dans la Constitution. Et 59 % sont également favorables à un « référendum révocatoire » permettant de révoquer les élus avant la fin de leur mandat.
Pour autant, ils sont également une large majorité de Français à souhaiter que le RIC soit encadré : 77 % en considérant que les questions posées devront être limitées à des enjeux qui ne remettent en cause ni la Constitution ni les libertés fondamentales, 70 % en considérant qu’elles ne devront être ni trop complexes ni trop techniques (excluant de fait, notamment, les politiques en matière de sécurité, de justice, ou de politique étrangère et de défense) et enfin 72 % souhaiteraient également qu’en plus d’une pétition citoyenne, la proposition soit signée par un certain nombre d’élus (parlementaires ou élus locaux).
Ainsi le souhait majoritaire de renforcer la souveraineté populaire ne s’oppose pas – ou en tout cas pas de manière systématique – à la démocratie représentative.
Au contraire, les résultats de notre enquête montrent une forte conscience des Français sur ce qui doit relever du « peuple », et ce qui doit relever de ses représentants. Des attentes plaidant pour un principe de subsidiarité appliqué à la démocratie et à la République française, en d’autres termes, afin de permettre que celle-ci se régénère sans pour autant remettre en cause les principes qui sont les siens depuis plusieurs siècles.
Aurélien Preud’homme, Directeur des études politiques
Gilles Finchelstein, Directeur général Fondation Jean Jaurès
Jean-Philippe Moinet, Directeur La Revue civique
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